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21 décembre 2014

3 - La couleur de son cerveau

 

 

Ils la regardaient plonger le bras, puiser encore, dans le vaste sac de toile. En retirer des babioles cassées : brindilles d’herbes, vieilles fripes, livres éventrés. Mais ils n’avaient aucune idée de ce qu’ils voyaient ; car c’étaient, à ses yeux émerveillés, potions magiques, vêtements d’antan, et grimoires ensorcelés !

 

Non, ils ne pouvaient soupçonner, la couleur de son cerveau.

 

Ils l’observaient, cachée derrière ses livres, érigeant autour d’elle des cabanes fortuites ; imprenables forteresses. Taciturnes, déboussolés, ils observaient sa folie déchaînée. Mais ils n’y comprenaient rien, elle mélangeait les sons, les mots, les phrases ; et peu à peu, elle découvrait un autre langage.

 

Non, ils ne pouvaient apercevoir, la couleur de son cerveau.

 

Un sac sans fond, voilà ce qu’était : l’imagination. Mais un soir où elle rêvait, surnageant dans la marée d’histoires et de contes, on entendit soudain un hurlement sans nom. Le son d’une toile épaisse de tissu qui se fendait, se déchirait, s’ouvrait. Le sac, percé, la laissa choir au sol dans un bruit mou. Puis le silence.

 

Elle était terne, elle était simple. La couleur de son cerveau.

 

Car dans sa quête, elle avait trouvé le fond. Aux étincelles de l’imagination, son cerveau ne répondait plus. De la fente du grand sac, fuyaient en masse les créatures, les monstres, les langues, les prophéties, la magie et les pays. Les yeux écarquillés, la tête entre les mains, désabusée et bouche bée, elle les regardait passer.

 

Il ne brillait plus, s’était éteint. Il n’y avait plus de couleur, dans son cerveau.

 

Car impossible, malgré tous ses efforts, d’inventer une couleur. Impossible de la créer, l’illusion visuelle d’une teinte jamais vue. Les frontières de l’imagination désormais autour d’elle, l’enserraient, l’emprisonnaient. Il n’y avait plus d’issue.

 

Elle la voulait unique, inédite. La couleur de son cerveau.

 

Ses paupières étaient closes. Allongée sur le sol. Une larme coulait, du coin de son œil. Serrées sous l’effort, ses lèvres pâles tressaillaient. Elle respirait à peine. Mais ses efforts n’y changeaient rien.

 

Rien ne pouvait changer la couleur de son cerveau.

 

Elle se redressa, d’une inspiration soudaine. Une lumière nouvelle dans ses yeux triomphait. Car elle pouvait créer de nouveaux mots. De nouvelles langues. Et sa langue nouvelle serait l’incantation qui remuerait ses lèvres.

 

Une foule de couleurs se bousculait dans son cerveau.

 

Jaune turquoise et vert fuschia… rouge d’œuf, et orange nuit ? Bleu sauterelle ! Rose poubelle ! Elle plongeait voracement la main dans son sac percé, sans fond, en tirant les nuances convoitées. Et les autres la regardaient, décontenancés, repeindre sans cesse et sans vergogne le monde entier.

 

Ils ne pouvaient seulement imaginer : la couleur de son cerveau.

 

 

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20 décembre 2014

2 - Oppr(str)ession

 

 

Elle a les ongles rongés jusqu’au sang.

Elle a les mains sèches, et les ongles rongés jusqu’au sang.

Elle a des plaques rouges, les mains sèches, et les ongles rongés jusqu’au sang.

 

Elle a des cernes.

Elle est fatiguée, elle a des cernes

Elle n’arrive pas à dormir, bien qu’elle soit fatiguée : elle a des cernes.

 

On lui répète : « tu ne devrais pas t’en faire ».

Parfois on lui dit : « vous n’êtes pas un génie, quand même… » ; et d’autres lui répètent : « tu ne devrais pas t’en faire ».

Elle se répète : « je n’ai qu’à travailler », car parfois on lui dit : « vous n’êtes pas un génie, quand même… » ; et d’autres lui répètent : « tu ne devrais pas t’en faire ».

 

Elle travaille.

Elle travaille, et elle travaille.

Elle travaille, elle travaille, elle travaille.

 

Elle l’admet, elle est un peu stressée.

Elle est un peu sous pression, elle l’admet, elle est un peu stressée.

Elle est un peu pressée : elle est un peu sous pression, elle l’admet, elle est un peu stressée.

 

Et enfin, et alors, contre toute attente et bien que rien ni personne ne l’y ait poussée de son plein gré (car le moment venu, tous plaident  non coupable, même si les uns, comme les autres, ont contribué à cette progressive et inexorable automutilation), sans que rien ne justifie la chose, et tandis que l’on continue de lui répéter sans fin : « tu ne devrais pas t’en faire »…

 

Elle atteint un état second : celui de l’oppre(stre)ssion. 

 

 

19 décembre 2014

1 - La chambre sans peluche

 

 

Dans une chambre d’enfant, sur le lit, immobiles, les peluches assises en rang ne quittent pas des yeux la porte ; mais elle ne s’ouvre plus.

 

*   *   *

 

C’est une chambre étroite.

On y dépose un matin ses bagages, avec un sentiment de confusion, un léger frisson. Car la chambre est froide, les coins tachés d’humidité, et ses murs pâles ; couleur banale, atonale.

 

C’est une chambre étroite, et froide, atonale.

Dépeuplée, mais on y rencontre curieusement quelques meubles juxtaposés, comme oubliés. Un lit, une commode, et une planche branlante sur quatre pieds.

 

C’est une chambre étroite, et froide, atonale, dépeuplée.

Les bagages sont immobiles, et semblent fixer les murs de leurs poches étonnées. L’on ne peut se décider à les défaire, dans cette chambre triste. Porté par un sentiment vague, déboussolé, sur le lit on se laisse tomber.

 

*   *  *

C’est un monde très vaste.

On y marche, titubant, porté par un étrange sentiment d’abandon, un grand frisson. Car le monde est terrifiant, son horizon est faste, et ses odeurs, ses bruits, emplissent ses nuits.

 

C’est un monde très vaste, terrifiant, faste.

Des projets et des rêveries, des espoirs et des songes, des coups durs et des angoisses qui le peuplent et le rongent. Un monde imprévisible, où l’on se lance à perdre foi, à perdre loi, à perdre le souffle.

 

C’est un monde très vaste, terrifiant, faste, imprévisible, à perdre le souffle.

La chambre est si petite, dans ce monde si grand, et l’on est en son sein un illustre inconnu, une âme gonflée d’orgueil serein. Une poche de volonté qui n’est pas encore percée, pas encore écoulée, pas encore en déclin.

 

*   *   *

 

C’est une chambre étroite, et froide, pâle, atonale, dépeuplée, oubliée, triste ; c’est un monde très vaste, titubant, terrifiant, faste, imprévisible, à perdre souffle.

 

La chambre est si petite, et le monde est si grand, quand on y pose ses bagages, minuscules en ces murs blancs. Alors, pour se donner la force de continuer au-delà de la peur, l’on s’assied sur le lit, et l’on observe les murs, les poings serrés.

 

Et dans la chambre d’enfant, dépeuplée d’habitant, sur le lit les peluches bien en rang détaillent la porte de leurs yeux blancs. Mais elle ne s’ouvre plus. 

 

Et dans la chambre de l’étudiant, sur le lit, le grand enfant est assis.

 

 

 

18 décembre 2014

18 - Ding ding ding

 

 

Ding ding ding comme le temps passe, comme il file, comme il tourne !

 

Le tic-tac claque et fine, fine, l’aiguille des secondes entame une course effrénée, virevoltant sur le cadran sans jamais s’arrêter.

 

Le tic-tac craque et la grande, grande aiguille prend la route, quand la première passe la ligne (les secondes s’égrènent trop vite et elle court encore mais ne la rattrape jamais). Elle avance fièrement, de minute en minute, et lentement mais sûrement, à son tour elle accomplit le grand tour du cadran.

 

Le tic-tac attaque et la courtaude aiguille prend son temps, mais ne lésine pas ; discrètement elle passe, et de chiffre en chiffre sur la piste s’éclate. Pataude mais écrasante, elle passe et s’efface sans se faire remarquer. Et quand les autres folles tournent, tournent, sur le cadran, et s’épuisent dans l’affolement, l’aiguille courte prend son rythme, elle passe l’heure majestueusement. Elle tourne insidieusement.

 

Le tic-tac se détraque, et : ding ding ding ! L’horloge sonne comme pour dire qu’il est temps. Pour le toc toc toc. D’aller plus en avant. 

 

 

17 décembre 2014

17 - La cerise sur le gâteau

 

 

Au fil du temps, qui se détend, qui se retend, et qui s’étend. L’on grandit et l’on croit, l’on croît, décroît. Il faut bien que l’on avance, et l’on voit défiler par la morne fenêtre, les lampadaires droits comme des « i », les arbres, les larges bancs, maculés et vides. Le lendemain, les enfants sont des adultes et leurs mains triplent de volume, toujours serrées sur leurs stylos, les fesses collées aux chaises, les coudes vissés aux tables. Les classes sont trop petites.

 

Et le fil change, rechange, et s’échange. L’on écrit, on décrit, puis décrie. Les mots s’en mêlent, s’emmêlent, démêlent. Il faut bien que l’on avance, et l’on voit cette masse qui grouille, bredouille, dérouille : quelques-uns qui obtempèrent, qui désespèrent, marchent à l’envers. Un fier groupe cependant, qui marche en rang, qui coopère, et dans une autre classe s’engouffre. Ils ne sont pas nombreux. Mais les classes sont trop petites.

 

Et le temps passe, repasse, trépasse. Les mains scotchées aux livres, les coudes glissent sur les tables, et l’on fait corps avec la chaise ; les statues se pétrifient et froides, et dures, ne s’élèvent plus. Parfois, sous un coup dur elles cassent, et dans un fracas sans pitié dérivent. Et l’on est moins nombreux, encore, dans les classes ultérieures. Mais les classes sont trop petites.

 

Et l’on nous sème, parsème, essaime. Les mains moites et la vue atrophiée, courbés sur les pages froissées, les coudes usent les tables et les chaises grincent des pieds, sous le poids des années. Pendant ce temps, enfermés, déformés, conformés, leur petit nombre décline, décline, décline. Et puis quelques-uns restent, un petit nombre modeste, une crème fouettée, leste.

 

Et la cerise sur le gâteau. Mais les classes sont trop petites, et la pâtisserie est indigeste.

 

 

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16 décembre 2014

16 - Frontière rouge fraise

 

 

C’est un trait rouge, sur une carte. Bien au milieu, rouge vif, rouge épais, on ne voit presque que lui (il est tremblant et j’ai débordé). Et des pays en rouge, et des pays oranges, et des pays jaunes. Oui, des pays jaunes, malades et pâles (le coloriage laisse à désirer).

 

C’est un trait rouge, sur une carte. Je l’ai tracé vif, épais, de mon feutre (il a percé la feuille). Et désormais cette frontière dégage une odeur douce et forte : une odeur de fraise. C’est une frontière à la fraise qui divise ma feuille (avec un feutre tout neuf, c’est à la mode les feutres odorants).

 

C’est un trait rouge, sur cette carte, un gros trait rouge qui se pavane, l’air de dire : je suis le maître. Comme si cette carte n’avait pour seule raison que ce trait rouge, cette balafre sur la Terre, qui sépare les couleurs ; du rouge, du jaune, et entre les deux, comme s’ils hésitaient, quelques pays oranges (ou alors c’est peut-être ma carte qui est un peu simpliste).

 

C’est un trait rouge fraise, tout doux, qui semble dire « hé, j’suis qu’un p’tit trait, rien d’bien méchant, j’sens la fraise les mecs, j’me prends pas au sérieux ». Mais il est imposant, un peu intimidant, au milieu des océans (je ne suis pas sûre d’avoir bien placé les océans d’ailleurs, avec mes moyens mnémo-techniques à la con).

 

C’est un trait rouge fraise et le feutre encore en l’air (je le rebouche, sinon il sèche, et puis ça pue la chimico-fraise), je me questionne sur la frontière rouge fraise. Celle qui plane comme une ombre, sur les océans. Je m’imagine nageant à la frontière rouge fraise. Et en face de moi, il y a un jaune pâle qui ne peut pas traverser (non, car un trait à la fraise ça vaut tous les barbelés).

 

C’est une frontière rouge fraise, entre le Sud et le Nord, qui découpe la Terre et désigne les riches ou pauvres, ceux qui vivent vieux, et les illettrés (ben tiens ça, j’en connais au Nord). En reposant mon feutre je me questionne vaguement, sur l’existence des pauvres du Nord ou des riches du Sud, de jaunes chez les rouges et de rouges sanguinolents qui se cachent chez les jaunes. Mais on n’en parle pas assez.

 

C’est une frontière à la fraise qui décide arbitrairement qu’au Nord les gens sont riches (pas moi), et qu’au Sud ils crèvent la dalle. C’est un trait bien occidental qui découpe la Terre en lamelles de préjugés, broyés et prémâchés. C’est une étude financière qui n’a pas dit si les gens de Paris étaient plus malheureux que les enfants de Tripoli (d’ailleurs ils n’ont pas le métro, là-bas, et c’est typiquement l’endroit où les gens tirent la gueule…).

 

C’est un trait rouge au feutre, avec des crayons rouges, oranges et jaunes. Et puis ce pays blanc dont je ne sais que faire puisqu’il y a la guerre, et puis qu’on manque d’infos (je le colorie en gris et ça donne à ce pays-là un air peu concerné). Et puis ce pays-ci qui vit en autarcie, et cet autre dont j’ai oublié le nom mais franchement, personne ne connait ce pays alors cela importe peu (y’a quoi au-dessus de l’Éthiopie, franchement ?).

 

C’est un trait à l’odeur de fraise bien enivrante, et je relis la carte quelques instants, avant de la tendre au professeur (revêche). Dubitative sur le contenu, certaine du résultat. Entre du rouge et du jaune, aucune erreur possible (eh non, ça ne se ressemble pas). Ma carte est juste et bien remplie, même si le Sud est un peu vide (mais sans doute n’y a-t-il rien là-bas ?).

 

C’est un trait rouge sur la carte, une frontière bornée, une frontière rouge fraise ; heureusement, elle sent bon, pour un peu rigoler.

 

15 décembre 2014

15 - L'accord du féminin

 

 

La grammaire est dans son sang

 

Et à neuf ans déjà, lors de la leçon de grammaire, Léa abdiquait docilement. À regrets, d’une voix douce dévolue aux jeunes enfants, elle expliquait : « au pluriel, on doit dire « ils » même s’il y a vingt filles et un seul garçon, puisque ce sont toujours les garçons qui l’emportent… ».

 

Un jour, peut-être que si Léa s’implique encore dans la grammaire, elle deviendra « Académicien », pour donner à ses consœurs du « Cher Confrère ». Pour ne pas choquer la souveraineté du masculin ; voici l’accord du féminin.

 

* * *

La grammaire compte sans son sang

 

Léa porte le sac. Elle est déjà prête, de pied en cap, habillée et coiffée. Contre la porte elle se tient, le sac sur son épaule, et calmement, elle attend. Car Camille se tortille et chante en enfilant son maillot de bain, courant partout dans la maison depuis le matin. Car Louise est dans la salle de bain, à se laver les mains.

 

Léa attend, appuyée contre la porte : elle soupire. Louise sort de la salle de bain en sprintant et dérape sur le tapis. Elle enfile ses sandales en entonnant à tue-tête le refrain de la chanson que Camille a commencée. Et Camille est toujours en maillot de bain ; Léa pose le sac et lui fait enfiler son pantalon, parce que sinon, on n’est pas encore rendus.

 

Camille prend le sac, le hisse sur son épaule frêle en souriant de toutes ses dents d’enfant. Léa sourit en voyant le sac qui traîne encore par terre, parce que Camille est tout petit, du haut de ses quatre ans. Louise est prête et elle a déjà filé dehors, alors que sa maman n’est même pas encore là.

 

Mais bientôt, l’on s’installe dans la voiture, et voilà enfin que l’on y va : tous ensemble, ils vont à la piscine.

 

Ils vont à la piscine. Oui, ils vont à la piscine. Relisez bien.

 

Voici l’accord du masculin. Et s’il vous choque, s’il désappointe, s’il perturbe ou s’il vous porte atteinte, sachez qu’il est correct ; et à ce qu’il semblerait : la grammaire vous emmerde !

 

 

* * *

La grammaire compte sans son sens

 

Léo porte le sac. Il est déjà prêt, de pied en cap, habillé et coiffé. Contre la porte il se tient, le sac sur son épaule, et calmement, il attend. Car Maxime se tortille et chante en enfilant son maillot de bain, courant partout dans la maison depuis le matin. Car Louis est dans la salle de bain, à se laver les mains.

 

Léo attend, appuyé contre la porte : il soupire. Louis sort de la salle de bain en sprintant et dérape sur le tapis. Il enfile ses sandales en entonnant à tue-tête le refrain de la chanson que Maxime a commencée. Et Maxime est toujours en maillot de bain ; Léo pose le sac et lui fait enfiler son pantalon, parce que sinon, on n’est pas encore rendus.

 

Maxime prend le sac, le hisse sur son épaule frêle en souriant de toutes ses dents d’enfant. Léo sourit en voyant le sac qui traîne encore par terre, parce que Maxime est toute petite, du haut de ses quatre ans. Louis est prêt et il a déjà filé dehors, alors que sa maman n’est même pas encore là.

 

Mais bientôt, l’on s’installe dans la voiture, et voilà enfin que l’on y va : toutes ensembles, elles vont à la piscine.

 

Elles vont à la piscine. Oui, elles vont à la piscine. Relisez bien.

 

Voici l’accord du féminin. Et s’il vous choque, et s’il n’est pas correct, s’il désappointe, s’il perturbe ou s’il vous porte atteinte, et si la grammaire s’en retourne dans sa tombe : grammaire, on t’emmerde. Depuis longtemps, grammaire, tu reposes dans un caveau croupi frappé du sceau du masculin ; mais il est l’heure, enfin, de l’accord du féminin.

 

* * *

La grammaire répand son sang

 

Point de querelle, pour la grammaire. Ni féminin, ni masculin, n’est l’accord du pluriel. Nul ne l’emporte, nul n’est atteint. Sinon privé du droit d’être une voix, quand l’autre dérobe le sien. Voleur ou clandestin, nul n’est indemne pour cette infirme grammaire ; sur la balance, que la majorité l’emporte !

À l’heure des accords, le désaccord : nul n’est intègre, sans la grammaire du féminin.

 

Grammaire, desserre tes fers : car il est l’heure pour l’être humain, de l’accord du féminin.

14 décembre 2014

14 - La couleur du féminin

 

 

À travers vos lunettes aux verres colorés : monochrome.

 

Du rose, du rose, encore du rose. Du rose sur ses chaussures, des roses sur sa tête. Le rosier dans le jardin, et la rose de douche, rose. Le rose des bonbons, le rose du savon. Couleur du firmament ? Rose, rose, ROSE !

 

Les poupées et les tables à langer, l’infernale machine à laver. Les poupées anorexiques, et d’autres jouets toxiques. Sa place, son carcan ; rose, rose, ROSE.

 

Les robes et les rubans, les ballerines et les gants. Les armoires et les penderies, les miroirs et les cintres ; les habits élégants. Roses, roses, ROSES.

 

Le papier peint, la couverture, les princesses, les dessins. La chaise et la petite coiffeuse, le portrait sur le mur ; la chambre, d’un seul tenant : rose, rose, ROSE.

 

Rose, rose, ROSE. La vie d’une petite fille, à la peau rose, tout de rose entourée, tout de rose drapée. Un monde en rose pour une enfance bien élevée ; bientôt, la jeune rose qui éclora, rose jusqu’au vernis, de ses orteils, de ses doigts.

 

Elle bientôt, elle respirera les roses, elle mangera des roses, elle dansera les roses ! Elle chantera des roses et baillera des roses ; et qui sait, peut-être même qu’enfin des roses jailliront, lorsqu’elle pètera, vomira, ou rotera ? Elle pètera des roses, roses !

 

Rose, rose, ROSE ! la « couleur du féminin » : sur les verres de vos lunettes et dans vos yeux, en mille tons. Mais la jeune fille a mille facettes.

 

La peinture est sur ses mains. Contre le mur elle disparaît, dans le décor se fond, en monotone se teint : la couleur vient du chagrin. Et dans ses yeux, loin des lunettes monotones, il n’y a que : la couleur du dessin.

14 décembre 2014

13 - La poignée

 

 

C’est drôle les souvenirs, c’est drôle comme ils reviennent, c’est drôle comme ils restent. C’est drôle quand ils restent, c’est drôle quand ils partent.

 

Ce qui est drôle, surtout, c’est ce qui reste, et ce qui part.

 

Une poignée c’est anodin, une poignée ça ne vous dit rien : une poignée de porte, une poignée d’amour ? une poignée de mains.

 

C’est d’une poignée dont je me souviens. Revenue à mes esprits soudain, comme une poignée solide, la poignée d’une petite main. C’était une petite main et un esprit gourmand, une silhouette basse qui glissait discrètement.

 

Une poignée pour un bonbon, et l’autorisation : « oui, mais un seul ! ». Oui, mais « un seul » ne veut rien dire ; un bonbon, un paquet, une bouchée ? Une poignée ? une pleine main !

 

Dans le couloir sombre personne ne la voyait, et le poing refermé recelait quelque trésor. Mais quelle erreur d’avoir cru soutirer, là où l’on entendait « un », plusieurs ! Elle avait pu, sans doute, dans le noir garder la tête basse, et faire sourde oreille aux remontrances d’une conscience souveraine.

 

Elle, c’était moi ; des remontrances je ne me souviens pas, mais du danger brûlant, de la peur, elle qui m’habite encore.

 

C’est drôle les souvenirs, c’est drôle comme ils reviennent, c’est drôle comme ils restent, et comme ils partent. Et ce qui ferait rire encore, c’est que de ce bonbon le goût ne revient pas ; de la poignée seulement serrée fermement, dans le noir, d’un vol inachevé qui laisse à ma mémoire un subtil sentiment de honte, je me souviens.

 

Un souvenir d’enfant à la blessure légère dont le goût me revient : c’était un bonbon à l’arrière-goût amer. Des sentiments plus forts et plus humains, d’une empreinte intellectuelle plus de souvenirs, dans la gestuelle et dans les mots, que de ce qui fond, ce qui se fond : un bonbon.

 

Quand du larcin suinte la raison. 

2 octobre 2014

12 - Mea sponte

 

 

Sponte, voluntariamente.

 

J’avais parlé. J’avais hurlé. J’avais craqué. Et l’on prétend, pourtant, que l’enfant ne sait pas s’exprimer ? L’idée était clairement passée. Que pouvait-on ne pas saisir, d’un « TA GUEULE » tonitruant ? C’est une tournure simple et sans trop d’artifices. Sans s’encombrer de gants.

Et l’on prétend, pourtant, que l’enfant ne sait pas parler ? Mea sponte : la colère avait dû me sauver.

 

J’avais parlé. J’avais hurlé. J’avais braillé. Et l’on prétend, pourtant, que l’enfant ne sait pas s’expliquer ? L’idée n’était en fait que trop bien passée. Que pouvait-on dire, lorsqu’entre quatre yeux l’on recevait un : « tu me parles encore UNE FOIS, et je te jette par-dessus bord ! », très sûr de soi ? C’était une menace claire, toute spontanée. Concrète et réaliste, avec des mots d’enfant.

Et l’on prétend, pourtant, qu’il ne connait pas la cruauté ? Mea sponte : c’était dans mon sang.

 

Je l’avais terrifié. J’avais gagné. Dominé. Et l’on prétend, pourtant, que l’enfant est incapable de vivre en société ? Le dialogue avait bien existé. Que pouvait-on inventer d’autre, pour mieux se supporter, qu’un lien hiérarchisé ? C’était une relation saine, une parole maîtrisée. Mea sponte : je l’avais instaurée de mon plein gré.

 

J’avais martyrisé. J’avais traumatisé. Je le ferais encore. Et l’on prétend, pourtant, que l’enfant est incapable de structurer ? Mon fief était pourtant très bien ancré. Aurais-je dû me questionner sur les raisons, les motifs, d’une telle méchanceté ? C’était une forteresse stable, un empire pour régner. Mea sponte : j’avais une forte volonté.

 

Je n’étais qu’une enfant. Une peste. Un garnement. Et l’on prétend, pourtant, que l’enfant est innocent ? Une façade assumée. Comment peut-on imaginer que l’enfant soit différent ? Il est proche de l’adulte, il imite ses agissements. Une machine à torturer, à déchiqueter les gens ; un être dit ignorant dont on pardonne les égarements. Alors, mea culpa : je n’étais qu’une enfant.

 

Mea sponte : j’étais pourtant un être conscient.

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