Le larbin.
De cette espèce commune, beaucoup de choses à dire. On ne naît pas larbin ; on le devient. Cela peut être du jour au lendemain, peut-être pour l’appât du gain, ou de peur d’avoir faim.
De face il vous sourit ; de son profil, quelques traits à tirer. S’il est jeune, il n’est pas qualifié, un peu perdu et désœuvré. S’il est âgé, c’est le profil du licencié. S’il est fauché, c’est le profil à exploiter. S’il est un peu fasciste, c’est le profil pratique, le plus académique. Bientôt manipulé, tout prêt à être bouffé : ce n’est plus un humain, car c’est un moins que rien.
Un grand maître des mots, un poète démago. Son bureau est un clavier, et sa boîte un grand réseau. Sur la toile ça dégage, stratégie du marteau ; pas besoin d’réfléchir, pas besoin d’être finaud. Il épluche les pages des forums et des journaux. Il déverse des insultes, de savants lieux-communs, et derrière ses écrans, la France reprend en cœur : « c’est la faute aux immigrés », « c’est la faute aux pédés ». C’est aussi un larbin, celui qui renchérit : « c’est la faute aux gauchos ».
Mais ce n’est qu’un larbin, l’employé des grands chiens.
Le grand chien.
Le grand chien, est-il humain ? Peut-être, un genre d’américain, un bourrin cabotin. Un citadin chauvin, qui achète ses petites mains. Un travailleur hautain, un parrain des scrutins.
Le grand chien, espèce rare de pédigrée hautement évalué, a le regard chafouin. Il est, parfois, souvent, toujours débordé, mais satisfait, souverain. Le grand chien, stratège ou rien, dirige un système suffisant, multipliant au cas par cas le profil qu’on attend : la carotte du larbin. Le larbin est engendré, exploité, nourri et éjecté par le même grand chien, constellation omniprésente qui pose son ascendant sur la classe des crève-faims.
Le grand chien répond pourtant à l’autorité haute du grand Tracassin.
Le Tracassin.
C’est un petit nain mesquin qui se pavane sur son oie, rabâchant des refrains. Grimaçant et complaisant, il règne sur les grands chiens, qui irriguent l’humanité de ses larbins, de ses larcins. Le grand Tracassin est un sacré radin, qui raque les samaritains.
Le Tracassin. Grand manitou de la société, le Tracassin est pourtant obligé de supporter les révoltes des larbins, les querelles de grands chiens, et même les protestations du bon curé du coin. Tracassin n’est pas un parvenu, Tracassin est élu.
Le larbin existe sans fin, le larbin œuvre serein, quand le grand chien fouille les poubelles et pendant qu’ils s’y attèlent, Tracassin qui s’ennuie, derrière son écran, n’hésite pas à cliquer sur les forums, et de balancer pour rire encore : « c’est la faute aux maghrébins ».
Mais c’est la faute aux incertains, aux mondains qui ne voient rien.
Tout un chacun.
Et le système tourne, la roue écrase les humains. Puisque tout un chacun, dans la rue cache ses yeux ; à la vue du larbin, se découvre peureux.
Des races susnommées, il se distingue de peu. En pensée certes dissemblable, mais sans les actes, le malheureux ne vaut guère mieux.