8 - Rien naît facile
Rien naît facile, quand on est dyslexique. Rien n’est facile pour elle. Vissée sur sa chaise, deux yeux attentifs rivés sur le tableau. Deux petites lumières qui s’allument, son visage qui sourit parfois, quand elle comprend, rarement. Et elle regarde l’ardoise verte ; et sa craie blanche, arabesques fines qui s’évaporent dans la nuit et…
CLAC. Et la règle en plastique qui claque sur l’ardoise.
Rien naît facile. Rien que des arabesques folles qui cheminent, qui s’entrecroisent. Qui se mélangent sans fin et créent des nœuds, des nœuds inextricables dans sa tête, dans son cerveau tout entravé. Son cerveau a la nausée, quand…
CLAC. Quand elle décroche, et qu’elle s’en va loin, loin du tableau, sombre, sévère, monotone.
Rien naît facile, quand on est dyslexique. Rien n’est facile, depuis toujours ; pour longtemps encore. La règle claque, la craie blanche danse, et dans sa tête tout se mélange et tout ce qu’elle apprend, son cerveau nauséeux le régurgite et se ferme à double-tour, à tout, à rien. Rien n’est facile. Quand le…
CLAC. Le départ est donné.
Rien naît facile. Les majuscules alignées sur la ligne de départ, et les points qui jouent à chat. Sur le tableau les lettres font une course à pieds, un marathon effréné, et c’est le O qui passe la ligne d’arrivée le premier ! Le B était pourtant parti devant, à cloche-pied. Elle se prend les pieds dans le bourbier, et sa tête entre les mains, son cerveau cogne, et son cœur bat ! Son petit cœur dans sa poitrine, à droite. Ou à gauche, peut-être. Ce qu’ils se ressemblent, ces deux là ! Elle ne sait jamais, et pour se repérer il faut qu’elle se tourne vers la montagne et voilà…
CLAC. Voilà que le brouillard s’étend.
Rien naît facile, quand on est dyslexique. La gauche, la droite, l’alphabet qu’on lui demande tous les lundis matins, le marcredi et le jadi, le vencredi à l’envers, ou peut-être est-ce le dimanche ? Pas d’école le dimanche. Le mervandi les tables, de un à trois sans compter sur les doigts. Mais elle n’y arrive pas, ses doigts sont comme les lettres, ils se mélangent et se trompent et tu…
CLAC. « Tu n’écoutes pas. Tu n’es pas concentrée. Tu rêvasses. Tu es le cancre du dernier rang. »
Rien naît facile. Les pages des livres qu’elle préfère déchirer pour en faire des avions et s’envoler. Ses camarades qui se moquent, quand elle suit la ligne avec son doigt, et bute sur les consonnes, quand elle dit « brôle » au lieu de « drôle », et c’est très certainement marrant mais elle laisse sa...
CLAC. Sa main qui s’égare violemment sur la joue de ses camarades, à la récré.
Rien naît facile, quand on est dyslexique. Elle rumine sa colère, sa frustration et sa rancœur, quand elle se cache entre les livres pour y pleurer. Et parfois elle essaie de lire, et réessaie à encore, quand plus personne n’est là pour la juger. Parfois elle se laisse aller et elle s’endort, et repose son cerveau épuisé, et enfin la…
CLAC. La porte de la classe qui se referme, quand la cloche a sonné.
Rien naît facile. La maîtresse hystérique qui ne voit rien. Ses parents affligés qui n’osent plus rien dire, car il n’y a rien à dire quand plus rien ne fonctionne. Elle n’est rien, elle ne lit pas, ne comprend pas. Elle n’est pourtant pas bête, semble-t-il. C’est un problème de volonté, qu’ils disent, ce que dit la…
CLAC. La sentence sur le bulletin. Trop d’imagination. Trop de fantaisie. Trop de rêveries. C’est inapproprié, d’imaginer les lettres danser, sans queue ni tête qui font la fête, en farandoles.
CLAC. Dans son cœur. Quand on jette sur elle un regard embêté, quand on ne sait plus où la mettre, où la poser, cette enfant inutile. CLAC CLAC CLAC !!!
CLAC. Quand on l’oublie. Puisque de toute façon il n’y a plus d’espoir. Et puis, plus de…
Clac. On s’habitude à tout. Il faut trouver de brôles d’astuces, quand on naît dyslexique.