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31 décembre 2014

13 - En deuil de soi

 

 

Et elle est là, devant la stèle. Devant la tombe de son amant, de son époux. De son époux décédé.

Et elle est là, elle se tient devant, un bouquet de fleurs entre les mains. Une vieille dame qui passe la regarde étrangement, pressant contre ses yeux un pudique mouchoir blanc.

Et elle est là, avec ses fleurs, éblouie par le vent, bouche tremblante entrouverte. Et quand elle baisse enfin les yeux sur cette stèle, elle éclate.

De rire. De rire.

Car elle est là, devant la tombe de son amant, et sur la stèle, il est écrit son nom.

 

*   *   *

 

« … et Marcellin, qui a toujours été un époux fidèle et tendre… »

 

Elle gardait les yeux baissés sur ce petit caillou blanc. Concentrée. Elle devait rester calme, et impassible. Non pas qu’elle veuille se retenir de pleurer. Ce genre de pudeur n’avait aucunement place lors d’un enterrement ; c’était, après tout, de son mari que l’on parlait. 

 

Petit caillou blanc. Blanc. Un mince sourire sur ses lèvres, qu’elle tâchait de camoufler en contractant fort sa mâchoire, ce qui passait pour une horrible grimace de douleur. Mais comme elle pensait que les gens devaient la croire très malheureuse en la voyant, elle grimaçait plus fort encore, et la boucle infernale raffermissait ses traits.

 

« … que cet épitaphe témoigne de l’amour que nous lui portons… »

 

Il y avait les vieilles tantes de Marcellin en face, qui pleurnichaient de concert, dans une effroyable mise en scène. Les mêmes qui, voyant la stèle un peu plus tôt, s’étaient offusquées et avaient crié au scandale. On aurait dû demander une autre stèle : c’était un acte de vandale. 

 

« … car en ce jour nous avons tous conscience, plus que jamais, de la fragilité de nos vies… »

 

C’en était trop. Caillou blanc. Caillou blanc. Souffler, lentement. C’en était trop, car aujourd’hui elle voulait rire. Elle voulait rire, comme avant. Et elle avait l’impression que si on soulevait la stèle, un tout petit peu, il sortirait la tête en louchant, et qu’il rirait avec elle.

 

« … nous sommes tous voués à finir dans cette tombe… »

 

Elle aurait voulu exploser. Exploser de rire. Mais en face d’elle les vieilles tantes grincheuses de Marcellin affichaient un air revêche et il fallait sauver les apparences, afficher une grimace de circonstance.

 

Mais derrière la grimace affreuse qu’elle se devait d’afficher, elle exultait : car elle était intimement persuadé qu’elle avait sous les yeux la dernière blague de son ami, de son amant ; celle qui lui donnait le réconfort de savoir que même dans la mort rien ne changerait, et qu’il l’attendrait. Dans cette tombe, celle qui portait, déjà, son nom.

 

Et de part et d’autre de l’épouse éplorée, les gens échangeaient des regards scandalisés, qui criaient haut et fort : ON N’ECRIT PAS LE NOM DES VIVANTS SUR LES TOMBES DES MORTS. 

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